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Encourager et arbitrer : apparition de conflits d’intérêt chez les régulateurs de la microfinance

Les IMF et les régulateurs ont-ils appris des erreurs du passé ? (partie 3)

5 August 2019

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Des questionnements au sujet des organisations d’autorégulation (OAR), du Microfinance Institutions Network (MFIN)MFIN et de la Sa-Dhan ont fait surface.

Des problèmes concernant la gouvernance du MFIN, l’organisation d’autorégulation majeure des IMF, ont été soulevés par des individus faisant partie du conseil d’administration du MFIN. Un bon exemple est le rapport sur la finance indienne responsable de 2016, le Responsible Finance India Report 2016 rédigé par le professeur Alok Misra, président du comité des organisations d’autorégulation du MFIN  et membre indépendant du conseil d’administration. Il affirme « qu’il serait sage d’avoir un pare-feu plus strict entre [les organisations d’autorégulation] et le travail de plaidoyer, et en même temps de réduire la dépendance des fonds des membres pour le travail [des organisations d’autorégulation] ».

La transparence du MFIN est une cause d’inquiétude, du fait que l’organisation ne partage pas publiquement les rapports d’investigation critiques du terrain, les données du bureau de crédit et les évaluations par tiers des IMF comme l’exige le rapport sur la finance indienne responsable de 2016. Selon ce rapport, cela serait certainement dû au fait que le MFIN se serve dans les fonds réservés aux IMF contraignant donc à la divulgation publique des informations. « Le financement [de l’autorégulation] par des fonds publics garantira également une augmentation de la divulgation publique, car actuellement en tant qu’organisation composée de différents membres, des aspects critiques de son fonctionnement tels que les rapports d’investigation du terrain, les données [du bureau de crédit], et bien d’autres ne sont pas divulgués, réduisant ainsi la transparence de son fonctionnement. »

Le professeur Misra note que la majorité des membres du conseil d’administration du MFIN devrait être indépendant, et que les critères d’indépendance devraient « exclure les personnes fournissant des services directs aux membres des IMF, tel que le financement ».

L’effet tourniquet

Ramesh Arunachalam, auteur de plusieurs livres sur la microfinance, et qui a abondamment mis en relief le conflit d’intérêt de la microfinance, dit : « Une [b]onne gouvernance nécessite l’identification et la réduction des conflits d’intérêt, ce qui n’a pas eu lieu dans le secteur de la microfinance ».

​ « L’autorégulation est un oxymore, et avoir des associations industrielles en tant qu’organisations quasi-réglementaires présente des risques majeurs », ajoute-t-il.

Le MFIN compte 12 membres au sein de son conseil d’administration, huit d’entre eux faisant partie d’IMF membres. Les quatre membres restants se font appeler « membres indépendants du conseil ».

Membre indépendant du conseil, Navin Kumar Maini est un sous-directeur général retraité de la SIDBI. Il était un directeur non-exécutif de MUDRA – une institution financière qui prête aux IMF – d’Août 2015 à Février 2018, alors qu’il était déjà désigné comme membre indépendant du conseil du MFIN en 2014. Desh Raj Dogra est un ancien directeur général et PDG de CARE Ratings.

Le professeur Alok Misra est également désigné en tant que membre indépendant du conseil. Misra était auparavant le PDG d’une agence de notation de microcrédit (M-CRIL) et le directeur général adjoint de la banque de développement rural et agriculturel, la NABARD (National Bank for Agriculture and Rural Development), qui prête aux institutions de microfinance. Quand Global Ground Media a interrogé Alok Misra sur sa désignation en tant que membre indépendant du conseil du MFIN, il s’est refusé à tout commentaire.

Dr Aruna (Limaye) Sharma, un agent retraité des services administratifs indiens, est le seul membre indépendant du conseil qui n’a pas travaillé auparavant pour une organisation fournissant des services directs aux membres du MFIN.

Soulevant des inquiétudes à propos du conseil du MFIN, Arunchalam a exprimé son opinion dans une entrevue avec Global Ground Media : « SIDBI et MUDRA sont de grands prêteurs dans le secteur de la microfinance. CARE Ratings et M-CRIL effectuent des évaluations de tierce partie et de code de conduite. Comment est-ce que d’anciens employés peuvent être membres indépendants du conseil d’administration d’un organisme d’autoréglementation alors qu’ils ont travaillé pour des organisations qui tirent profit des affaires de la microfinance ? Le conseil du MFIN ne peut en aucun cas être considéré comme un exemple de bonne gouvernance ».

Il a suggéré que les membres du conseil d’administration pourraient fonctionner indépendamment uniquement s’il existe un laps de temps suffisant entre leur affiliation passée avec l’industrie de la microfinance et leur position actuelle en tant que membre indépendant du conseil d’administration d’une organisation d’autorégulation.

Un examen des antécédents professionnels des membres indépendants du conseil Navin Kumar Maini, Desh Raj Dogra et Alok Misra, a démontré qu’ils ont rejoint le MFIN environ un an ou moins après avoir démissionné de leur ancien travail dans la microfinance, comme indiqué ci-dessus. Dr Aruna (Limaye) Sharma a été désignée comme membre indépendante du conseil par le MFIN  six mois après avoir pris sa retraite en Aout 2018, après avoir occupé le poste de secrétaire au Ministère de l’Acier (Ministry of Steel).

« S’il existe un conflit d’intérêt avec un membre du MFIN, nos administrateurs indépendants respectent les normes les plus strictes de gouvernance d’entreprise et se récusent de toute discussion », déclare un porte-parole du MFIN par email.

Membres dirigeants et représentants

En plus des affiliations à d’autres entreprises dans le secteur de la microfinance, un conflit d’intérêt direct a fait son apparition, où des membres du conseil d’administration indépendant représentent simultanément plusieurs organisations membres. Au moins deux membres indépendants du conseil d’administration occupent encore un poste au conseil des organisations membres du MFIN.

Desh Raj Dogra est inscrit comme administrateur indépendant aux conseils d’administration de Asirvad Microfinance Limited et M Power Microfinance, tous deux membres du MFIN. Alok Misra, membre indépendant du conseil, est également un administrateur indépendant du conseil d’administration de Vaya Finserv, un membre du MFIN.

Un porte-parole du MFIN a déclaré : « Les administrateurs indépendants doivent divulguer s’ils font partie du conseil d’administration d’un membre du MFIN, ce qu’a fait Desh Raj Dogra dans les cas de M Power et Asirvad. » Misra a récemment rejoint Vaya Finserv et l’a divulgué au secrétariat du MFIN, a déclaré un porte-parole du MFIN.

Les arrêtés de 2018 du MFIN déclarent que « les représentants des Associés [non-membres] sont éligibles à la désignation en tant que membres indépendants ». Le terme « Associés » fait référence aux non-membres engagés dans des activités en relation avec la microfinance et l’inclusion financière et ont un statut d’associé au sein du MFIN, mais ne sont pas des IMF-SFNB (Institutions de Microfinance – Sociétés Financières Non Bancaires).

Un porte-parole du MFIN déclare que les membres indépendants du conseil sont choisis pour leur capacité à améliorer les connaissances et l’expertise de l’association. « La microfinance en tant qu’entreprise ne travaille pas de façon isolée. Le MFIN et ses membres travaillent en étroite collaboration avec des acteurs multiples », explique le porte-parole.

Par email, le porte-parole déclare également que les administrateurs indépendants jouent un rôle important dans la gouvernance du MFIN. Un administrateur indépendant préside les comités de nomination et de rémunération, qui évaluent les performances de la haute direction, ainsi que les performances du PDG, et recommandent de nouveaux administrateurs indépendants au conseil d’administration, au comité d’organisation d’autorégulation et au comité de sanction. Le comité des finances et de la vérification ainsi que le comité des organisations d’autorégulation (OAR) du MFIN sont également présidés par des administrateurs indépendants.

Deux des quatre membres indépendants du conseil d’administration du MFIN, Dogra et Misra, occupent ces fonctions tout en étant affiliés à des organisations membres.

Différentes OAR, pratiques similaires

L’autre organisation d’autorégulation, la Sa-Dhan, compte actuellement 11 membres au sein de son conseil d’administration, dont huit font partie d’institutions membres de la Sa-Dhan. Trois autres sont des membres indépendants, dont Brij Mohan, ancien directeur exécutif à SIDBI, et Madhukar Umarji, directeur exécutif de la RBI, la banque de réserve indienne, postes qu’ils ont tous deux quitté dans les années 2000. Un troisième administrateur indépendant est Rajashree Baruah, directeur général en chef de la NABARD.

Brij Mohan, membre indépendant du conseil, est également le président et administrateur indépendant du conseil d’administration de Ananya Finance for Inclusive Growth et administrateur indépendant de Maanayeeya Development and Finance. Ces deux organisations sont membres de la Sa-Dhan. Mohan est également un administrateur indépendant de l’agence de notation M-CRIL.

Interrogé sur les affiliations avec Brij Mohan, le directeur exécutif de la Sa-Dhan, Pillarisetti Satish, déclare dans un email : « Brij Mohan n’est un employé à temps plein d’aucune institution. Il est un administrateur indépendant/membre indépendant du conseil d’administration [de ces institutions]. Toutes les institutions auxquelles il est associé travaillent pour atteindre l’objectif général de finance inclusive dans le pays, donc il n’y a aucun problème avec sa contribution envers ces institutions en tant qu’administrateur indépendant/membre indépendant du conseil ».

Satish n’a pas répondu aux questions répétées à propos du poste de Baruah à la NABARD.

Satish, le directeur exécutif, était le directeur général en chef de la NABARD. Le directeur exécutif ne siège pas au conseil de la Sa-Dhan.

Arunachalam déclare à propos du conseil de la Sa-Dhan : « Le conseil d’administration de la Sa-Dhan n’est pas parfait. Cependant, le fait qu’ils aient un représentant du régulateur de la RBI est un signe de neutralité ».

Arunachalam a ajouté que la RBI est au courant de la gouvernance faible dans le secteur, mais souffre elle-même d’une crise de crédibilité. « La RBI assure-t-elle la véracité des rapports soumis par les [organisations d’autorégulations] ? » demande-t-il.  Ces dernières années, la RBI a été mise en cause pour surveillance faible, manque de transparence et manquement dans la vérification de prêts douteux. La RBI n’a pas répondu aux nombreuses demandes de commentaires de la part de Global Ground Media.

Dans son affaire de la commission centrale de l’information, la Central Information Commission lancée contre la RBI pour défaut de fourniture des noms des emprunteurs défaillants, la RBI a déclaré ne pas pouvoir fournir les noms pour cause de « confidentialité entre la RBI et ses clients » et que les informations demandées pourraient non seulement se rapporter aux emprunteurs défaillants volontaires, mais également aux emprunteurs souffrant de détresse économique. L’affaire est en instance devant la Cour suprême de Bombay.

Fièvre ciblée

Alors que la gouvernance dans la microfinance soulève des inquiétudes, les réalités du terrain ne sont pas moins troublantes.

Moin Qazi, qui a travaillé avec des banques et des entreprises de microfinance, et qui a passé quatre décennies dans le secteur du développement, ajoute de façon générale à propos du secteur de la microfinance : « Les choses sont très mal engagées sur le terrain. Les agents de prêt devraient correctement conseiller les emprunteurs mais ils ont d’énormes objectifs à atteindre. Un contrôle raisonnable est négligé dans le processus. Est-ce que les IMF servent les pauvres ou tirent-ils avantage des pauvres ? »

Alors que les IMF élargissent leur portefeuille de prêts, les agents de prêt font face à la pression d’obtenir davantage de clients et d’assurer le remboursement du prêt. Le rapport sur la finance inclusive indienne de 2018, l’Inclusive Finance India Report 2018 montre que les inquiétudes des agents de prêt concernant la charge de travail augmentée, en terme de quantité de clients et de volume de portefeuille géré, n’ont toujours pas été pleinement prises en compte par les IMF.

Amulya Krishna Champatiray, qui travaille dans la finance inclusive et dirige des formations et des ateliers à IFMR Lead – un organisme de recherche qui travaille sur la microfinance – déclare que les IMF ont appris de chaque crise, mais ont encore un long chemin à parcourir en ce qui concerne les clients.

Alors même que les défenseurs de la microfinance essayent de brosser un portrait où tout va pour le mieux, une lecture plus approfondie du secteur et des régulateurs indique que bien que certaines IMF essayent d’aider les pauvres financièrement, des signes précurseurs persistent et les problèmes ayant déclenché la crise d’Andhra Pradesh en 2010 continuent à créer des difficultés pour le secteur.

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Article by Urvashi Sarkar.
Editing by Mike Tatarski and Anrike Visser.
Research by Peter Allen Clark.
Illustrations by Imad Gebrayel.

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