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Le rôle des prêteurs et des prêts dans les suicides des agriculteurs à Maharashtra

Partie 1

6 February 2020

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Shankar Bhaurao Chayare a laissé derrière lui une lettre de suicide avec d’innombrables plis et replis, indiquant qu’il avait longtemps contemplé l’idée du suicide. L’agriculteur de 50 ans originaire du village de Rajurvadi, dans le district de Yavatmal, est décédé en consommant du poison le 14 avril 2018.

Chayare possédait neuf acres de terre sur laquelle il cultivait du coton et des graines de soja – les deux récoltes avaient échoué à cause d’inondations dans les années 2014-2016 et 2019. Chayare avait un prêt de 100 000 roupies indiennes (1268 €) de la Yavatmal District Cooperative Central Bank (DCCB) et avait emprunté 70 000 roupies (887 €) à sa famille. À la suite de son suicide, la banque a renoncé au remboursement du prêt.

Sa femme Alka a déclaré à Global Ground Media : « Sa lettre de suicide froissée montre qu’il pensait au suicide depuis longtemps. Il devait être dépressif, mais ne pouvait pas le partager avec sa famille. »

Shankar Chayare s’est suicidé en consommant du poison, selon sa famille, car il n’a pas pu rembourser son prêt agricole de 100 000 roupies pour ses 9 acres de terre. Il a laissé une lettre de suicide blâmant le gouvernement Modi pour sa mort. (20 juillet 2019, Rajurwadi, district de Yavatmal)

Alka, qui s’occupe maintenant de la ferme, n’est pas au courant du taux d’intérêt du prêt et ne sait pas si Chayare pouvait le rembourser. Elle a reçu une compensation à titre gracieux – due aux familles d’agriculteurs ayant commis un suicide – de 100 000 roupies (1264 €) de la part du gouvernement de Maharashtra.

De la même façon, et selon la famille, un mélange de prêts d’une banque et de prêteurs privés ont conduit au suicide, à quelques mois d’intervalles, un duo père-fils provenant du village de Bothbodan dans le district de Yavatmal. Charan Dagadu Rathod, le père âgé de 50 ans, s’est suicidé le 30 janvier 2017 en consommant du poison. Son fils, Lahu Dagadu Rathod, âgé d’à peine 23 ans, a également consommé du poison et est décédé le 24 mars.

L’autre fils de Charan Rathod, Ankush, un agriculteur, déplorait que les prêteurs privés menaçaient régulièrement son père, qui possédait 5 acres de terre. « Ses récoltes avaient échoué à cause de la sécheresse. Mon père avait un prêt de plus de 70 000 roupies (887 €) de la Yavatmal DCC Bank et des prêts de plus de 150 000 roupies (1901 €) de la part de prêteurs privés qui facturaient des taux d’intérêts de 20 à 30 pourcent. Les prêteurs privés le menaçaient de prendre ses terres agricoles et le terrain sur lequel sa maison était construite. Il a consommé du poison à la suite d’une de ces menaces. »

À propos du suicide de son frère Lahu, Ankush déclare : « Étant le frère aîné, Lahu s’est senti responsable de rembourser les prêts de notre père et de prendre soin de la famille. Il avait à peine 23 ans. La pression l’a conduit au suicide. »

L’État a donné 100 000 roupies (1264 €) de compensation à la famille et la Yavatmal DCC Bank a également renoncé au remboursement du prêt de 70 000 roupies (887 €). Cependant, aucune compensation n’a été accordée pour le suicide de Lahu car la terre était au nom de son père.

Deux mois après la mort de son père Charan Rathod, Lahu Rathod a également consommé du poison pour mettre fin à sa propre vie. En plus de la dette de 640 000 roupies de son père, il avait un prêt personnel de 250 000 roupies à rembourser. Aujourd’hui, Ankush, son frère, doit rembourser les prêts restants. (21 juillet 2019, Bothbodan, district de Yavatmal)

L’endettement et les suicides

Les suicides mentionnés ci-dessus ne représentent qu’une infime partie des chiffres réels. Une série d’interviews conduites par Global Ground Media dans la région d’Amravati en juin 2019 avec des familles d’agriculteurs ayant commis un suicide ont montré que les agriculteurs se suicidaient à cause de l’échec de leurs récoltes sur plusieurs années – coton et graines de soja pour la plupart –, de la sécheresse et de l’impossibilité de rembourser leurs prêts venants de différentes sources.

Les demandes d’informations relevant du Droit à l’Information (Right to Information, RTI) de la part de l’activiste Jeetendra Ghadge ont révélé que 11 995 agriculteurs à Maharashtra ont commis le suicide durant la période de janvier 2015 à la fin de 2018 – marquant une augmentation de 91 pourcent par rapport aux trois années précédentes. 36,5 pourcent, ou 4384 suicides, ont été commis uniquement dans la région de Amravati à Maharashtra, incluant les districts de Akola, Yavatmal, Buldhana et Washim.

Pendant ce temps, les données du National Crimes Records Bureau (NCRB) sur les morts accidentelles et les suicides publiées en 2015 ont déclaré que « la faillite et l’endettement » étaient des causes majeures du suicide chez les agriculteurs/cultivateurs. Maharashtra présentait le nombre le plus élevé de suicides pour cause de faillite ou d’endettement – 1293 suicides ou 42,7 pourcent de tous les suicides de Maharashtra.

Au total, les données du NCRB ont démontré que 3097 suicides étaient commis par les agriculteurs ou cultivateurs pour cause de faillite ou d’endettement. Parmi ces suicides, 2474 agriculteurs/cultivateurs ou 80 pourcent avaient des prêts provenant d’institutions financières comme les banques/institutions de microfinance déclarées (IMF). 302 agriculteurs avaient des prêts de la part de prêteurs d’argent et 321 des agriculteurs ayant commis un suicide avaient des prêts aussi bien de la part d’institutions financières et de prêteurs d’argent que d’institutions non-financières.

Les ouvriers agricoles qui ont commis un suicide pour cause de faillite ou d’endettement envers des institutions financières et non financières/prêteurs d’argent étaient respectivement au nombre de 155 et 100.

Le NCRB a défini les agriculteurs/cultivateurs comme des personnes cultivant leur propre terre avec ou sans l’assistance d’ouvriers agricoles, tandis que les ouvriers agricoles sont des personnes dont le revenu principal provient d’activités agricoles.

Les données du NCRB sur les morts accidentelles et les suicides n’ont pas été publiées après 2016. La publication la plus récente de données du NCRB pour 2016 mentionne 11 379 suicides d’agriculteurs ; une baisse de 9,7 pourcent comparée au 12 606 cas en 2015. Contrairement à l’année 2015, les statistiques pour 2016 ne montrent pas les suicides d’agriculteurs par État.

Selon le sondage de NABARD intitulé All India Rural Financial Inclusion Survey 2016-2017, des sources institutionnelles ont émergé comme sources préférées avec près de 60,5 pourcent de ménages agricoles avec prêts institutionnels en 2015-2016. Un pourcentage important de 30,3 pourcent de tels ménages ont fait des prêts de la part de sources non-institutionnelles, comme des parents & amis, bailleurs et prêteurs d’argent, tandis que 9,2 pourcent avaient des prêts provenant à la fois de sources institutionnelles et non-institutionnelles.

Le professeur R. Ramakumar, un économiste agricole à la Tata Institute of Social Sciences, déclare : « La crise agricole se répand et inclut davantage d’agriculteurs de différentes classes, castes, et qui cultivent différentes cultures. Leurs prêts proviennent également de sources multiples. Le prêt provenant d’une source est souvent utilisé pour rembourser les prêts d’une autre source. C’est de cette façon que le cash reste en rotation. Même si le prêteur d’argent n’est pas directement impliqué, il peut y avoir un second ou un troisième prêt impliquant le prêteur d’argent. »

If you need help or know someone who does, please reach out now through a suicide hotline near you.

Article by Urvashi Sarkar.
Editing by Mike Tatarski and Anrike Visser.
Fieldwork by Varsha Torgalkar.
Research by Peter Allen Clark.
Picture by Abhaya Gupta.
Illustrations by Imad Gebrayel.

This article was developed with the support of the Money Trail Project (www.money-trail.org).

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