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Durant l’après-midi du 12 mai 2018, la police a envahi les rues du centre de Yangon, frappant les manifestants à la matraque et entraînant les gens dans des voitures de police. Mais alors même qu’ils se faisaient emmener de force – parfois retenus par la gorge – les manifestants continuaient de crier : « Nous voulons la paix ! ».
Des manifestants à la manifestation anti-guerre à Tamwe, Yangon, Myanmar. (Yangon, 12 mai 2018)
La police durant la manifestation anti-guerre à Tamwe, Yangon, Myanmar. (Yangon, 12 mai 2018)
La manifestation, qui avait rassemblé des milliers de participants, en reflétait beaucoup d’autres au Myanmar durant ce mois-là. Les gens marchaient dans la rue pour exprimer leur frustration croissante concernant les abus des droits de l’Homme dans les États ethniques empêtrés dans la guerre civile depuis des décennies dans le pays.
« Ce que nous [groupes de jeunes] avons réalisé, c’est que le gouvernement ne fait pas ce qu’il a promis. Il semble faire des choses juste pour les apparences », dit Thinzar Shunlei Yi, jeune activiste et manifestant du 12 mai, en parlant des promesses de campagne du gouvernement d’amener la paix et l’égalité à tous les habitants du Myanmar. « Nous avons donc décidé de le faire nous-même et de transmettre nous-même notre message de paix à la population ».
Trois ans après la prise de pouvoir de la National League for Democracy (NLD) (la ligue nationale pour la démocratie), de Aung San Suu Ky, des experts disent que la progression de la paix au Myanmar est en perte de vitesse.
Lors de son entrée en fonction en mars 2016, la NLD avait annoncé un plan afin de tenir deux fois par an des pourparlers de paix, appelés les « Conférences de Panglong du 21ème siècle pour la Paix et l’Union », en référence à la conférence originale de Panglong de 1947.
Mais des problèmes sont survenus dès le début de la première conférence, tenue en août 2016. Des organisations armées telles que le Ta’ang National Liberation Army et l’Arakan Army (l’Armée de libération nationale Ta’ang et l’Armée Arakane) ne furent pas invitées à participer, et les combats continuèrent dans les États Kachin et Shan pendant que la conférence se déroulait.
Après de multiples reports, la seconde et la troisième conférence se déroulèrent, chacune faisant moins de progrès que la précédente. À partir de la troisième conférence, des groupes armés comme le Karen National Union et le Restoration Council of Shan State (l’union nationale Karen et le conseil de restauration de l’État Shan) se sont retirés, invoquant l’échec de mise en place des accords de manière significative.
« C’est incroyable de voir comment les espoirs du Nationwide Ceasefire Agreement (NCA) (l’accord de cessez-le-feu national) signé en octobre 2015 se sont transformés en nouvelles pertes de confiance et ceci à maintes reprises alors que l’armée empêchait la mise en œuvre de l’accord », dit Jason Gelbort, consultant juridique indépendant. « Et cela n’attire pas les autres groupes à également participer au processus du NCA, surtout lorsque subsistent des offensives et des abus du Tatmadaw envers les civils ».
L’une des principales causes du problème, explique Gelbort, est que les résultats désirés par l’armée et les organisations ethniques sont complètement différents, ce qui entraîne un match nul dans le processus de négociation.
« Les organisations ethniques armées, les communautés ethniques, et les organisations de service communautaire souhaitent transformer la structure de l’État et n’accepte pas la légitimité de la constitution de 2008 », dit-il. « Ils veulent négocier la forme future de l’union ; comment le pouvoir sera divisé et comment les droits seront protégés ».
Pendant ce temps, aux yeux de ceux directement impliqués dans le processus de négociation de paix, l’armée désire le contraire.
« [Le commandant en chef] Min Aung Hlaing ne veut qu’une seule armée dans le pays, il veut nous désarmer. Nous sommes d’accord qu’une armée unique résoudrait les problèmes politiques, mais le problème en rendant les armes est le droit de succession », dit Sao Hso Ten, le leader du Shan State Progress Party/Shan State Army (le parti progressiste de l’État Shan/l’Armée de l’État Shan). « [Il] dit que nous ne devons jamais faire sécession, mais le droit de faire sécession est notre droit de naissance ».
Le droit de sécession dont parle Sao Hso Ten remonte à l’Accord de Panglong original, signé en 1947 entre Aung San et les dirigeants ethniques, qui aurait accordé une plus grande autonomie aux groupes ethniques par rapport au gouvernement de l’Union. Cependant, avec l’assassinat d’Aung San et la prise de pouvoir par la junte militaire, l’accord n’a jamais été respecté.
Mais afin de modifier la constitution du Myanmar, plus de 75 % des 440 parlementaires doivent voter en faveur de la modification. Ceci est quasiment impossible, du fait que la constitution actuelle accorde automatiquement 100 sièges à l’armée, soit 25 % des sièges parlementaires, selon le fameux Article 436.
« Min Aung Hlaing a dit qu’il est temps de mettre fin aux combats armés, d’abolir nos groupes et de rejoindre le Parlement, mais Aung San Suu Kyi ne peut pas s’en prendre à l’Article 436, donc comment les choses peuvent-elles changer ? » demande Sao Hso Ten. « Donc nous avons pris conscience que si nous ne prenons pas les armes, nous ne pouvons pas être libérés ».
Un membre de la milice de Kaung Kha debout devant le manau du village. Le village – à 40 minutes de voiture de Kutkai – est entièrement contrôlé par la milice. (Kutkai, 22 juin 2019)
Zawn Lum, major général de la milice de Kaung Kha, est assis dans un bureau de leurs quartiers généraux en dehors de Kutkai, dans l’État de Shan. (Kutkai, 22 juin 2019)
Un garde se tient debout à l’entrée du village et des quartiers généraux de la milice de Kaung Kha. (Kutkai, 22 juin 2019)
Les représentants d’organisations internationales partagent le même sentiment.
« Le Tatmadaw est le plus grand obstacle au développement du Myanmar en tant que nation démocratique moderne », déclare Marzuki Darusman, président de la United Nations Independent International Fact-Finding Mission on Myanmar (la mission internationale indépendante d’établissement des faits des Nations unies, dans un communiqué de presse de l’OHCHR. « Le commandant en chef du Tatmadaw, Min Aung Hlaing, et tous les dirigeants actuels doivent être remplacés, et une restructuration complète doit être entreprise afin de placer le Tatmadaw sous contrôle civil intégral. La transition démocratique d Myanmar en dépend ».
En décembre 2018, le Tatmadaw avait annoncé un cessez-le-feu dans cinq commandements régionaux dans un effort pour relancer les pourparlers de paix, action qui avait été félicitée par la communauté locale et internationale.
Mais le cessez-le-feu ne s’était pas étendu officiellement jusqu’à l’État Rakhine, où le combat entre le Tatmadaw et l’Arakan Army (l’Armée arakane) s’était intensifié depuis le début de l’année, déplaçant des dizaines de milliers de civils. Ailleurs, des accrochages entre le Tatmadaw et d’autres groupes armés durant le cessez-le-feu ont mené au déplacement de villageois vers les États Shan et Kachin.
À la suite du lent progrès au niveau de l’Union du gouvernement, des organisations locales ethniques se sont rassemblées pour défendre leurs communautés, offrant de l’aide, créant de la documentation sur les violations des droits de l’Homme, et éduquant la jeunesse sur le commandement et la démocratie.
« Si nous n’aidons pas notre peuple, qui le fera ? » se demande Lway Poe Kamaekhour, dirigeante de la Ta’ang Women’s Association (l’association des femmes Ta’ang), qui apporte de l’aide aux communautés ethniques de Ta’ang déchirées par la guerre dans le nord de l’État Shan, et lance régulièrement des appels au Tatmadaw pour obtenir la paix dans leur région.
Comme avec les manifestations ayant pris place à travers le Myanmar au cours de l’année passée, l’appel à la paix – ou les pas en avant vers la paix, comme par exemple abolir l’Article 436 – gagne de l’élan, surtout chez les jeunes.
« On dirait que [le gouvernement] mesure la paix en fonction du nombre de conférences qu’ils tiennent, et ce n’est pas une bonne mesure », dit Thinzar Shunlei Yi. « Nous [la jeunesse] pensons qu’il doit y avoir un consensus solide et une reconnaissance de ce que veulent les gens, et en ce moment, il n’y a aucune reconnaissance. Comment parvenir à la paix si nous ne sommes pas inclus dans le processus de paix ? ».
Tant qu’il n’y aura pas de reconnaissance des ethnies et des voix de la jeunesse à travers le pays, des groupes continueront de se former et de se mobiliser eux-mêmes, déclare Thinzar Shunlei.
« Nous nous assurerons que nos voix sont entendues jusqu’à ce que la paix soit enfin obtenue ».
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Article and photography by Victoria Milko.
Editing by Mike Tatarski and Anrike Visser.
Illustrations by Imad Gebrayel.
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