Listen to this story (English).
Thaïlande : des solutions à l’échelle du pays
D’autres communautés rurales à travers l’Asie se sont rassemblées pour soutenir des solutions à la pollution de l’air local pour une raison qui ne nécessite aucune explication — le gain financier.
Dans les montagnes de Chiang Mai, Warm Heart, une organisation à but non-lucratif, fondée par le Dr Michael Shafer, et sa femme, Evelind Schecter, aide les communautés agricoles à améliorer la qualité de leur air en leur apprenant à produire du charbon à usage agricole, une substance polyvalente similaire au charbon qui peut être utilisée pour enrichir les sols appauvris, en tant que combustible sans fumée pour la cuisine, ou bien encore en tant que source d’énergie pour l’industrie, et qui encourage les performances grâce à l’appât du gain.
Chaque printemps, les brûlis annuels en Thaïlande du Nord remplissent l’air des montagnes d’une épaisse fumée qui nuit à la santé de manière générale, à l’espérance de vie, et au tourisme de la région. Cette année, durant un feu de forêt, l’air de Chiang Mai était le plus pollué au monde— une conséquence courante des brûlis. Après la récolte du maïs, les membres de la communauté physiquement aptes se dirigent vers le sud en grand nombre durant la saison basse pour trouver un travail plus fructueux, laissant les agriculteurs avec plus de travail qu’ils ne peuvent en gérer. Sans surprise, les agriculteurs, souvent plus âgés, préfèrent brûler les chaumes de maïs qui jonchent leurs champs plutôt que de rassembler le stock sous le soleil brûlant.
Warm Heart a mis en place un système de bénévolat coopératif qui permet aux agriculteurs de participer à leur programme d’utilisation du charbon à usage agricole. Shafer et son équipe apprennent aux agriculteurs à rassembler les chaumes de leurs champs et à les transformer en charbon à usage agricole.
Shafer n’essaie pas de changer l’opinion des gens afin qu’ils luttent contre le changement climatique ou aident les générations futures ; au lieu de cela, il se concentre sur les bénéfices pratiques qui feront une remarquable et immédiate différence dans les communautés agricoles.
« Notre but est de rendre plus profitable le fait de ne pas brûler que de brûler », déclare Shafer. « Nous souhaitons spécifiquement rendre le charbon à usage agricole plus profitable que la combustion. Donc, au lieu de faire la leçon aux gens, nous leur avons dit que s’ils le faisaient, nous les paierions. Ils ont fait 15 000 sacs de charbon à usage agricole pour nous. »
Réaliste autoproclamé, Shafer croit que le changement climatique et la pollution de l’air sont des préoccupations distantes pour les agriculteurs Qui travaillent pour survivre. En créant un prototype de coopération pour l’utilisation charbon à usage agricole à Mae Chaem, lui et Warm Heart espèrent pouvoir développer leur modèle par un phénomène d’imitation, plutôt que d’intervention.
« Le modèle d’entreprise sociale du charbon à usage agricole est conçu pour être dupliqué », déclare-t-il. « Il est simple, peu onéreux, et flexible. N’importe quel village dans le monde en développement peut l’adapter et l’appliquer à son contexte ».
À grande échelle : l’approche autoritaire et ambitieuse de la Chine
En Chine, les solutions comme le charbon à usage agricole ont l’avantage d’être financées par le gouvernement, permettant des avancées plus rapides à plus grande échelle. Cependant, les réglementations radicales typiques de la politique gouvernementale chinoise qui les accompagnent précèdent parfois des alternatives sur place pour les individus impliqués.
Pendant les hivers récents, les villageois souffrant du froid ont fait la une des journaux alors que le gouvernement avait annulé son interdiction du charbon dans des zones où la demande de gaz dépassait largement l’offre.
Experte en développement durable et auteure du livre « China’s Environmental Challenges », Judith Shapiro décrit l’obsession de la Chine sur ses objectifs, « susceptible de créer un déséquilibre ».
Alors que les campagnes de répression du gouvernement sont, en un sens, efficaces, Shapiro déclare qu’il y a « une forte tendance à détourner le dommage environnemental vers des populations plus vulnérables dans les zones rurales, en Chine de l’ouest, ou même à l’étranger, plutôt qu’à prendre les problèmes à la racine ». Donc, pendant que la qualité de l’air s’améliore dans des villes plus aisées de l’est comme Pékin et Shanghai, les populations rurales à des centaines de kilomètres plus à l’ouest continuent de ressentir les effets des « raccourcis de fabrication et des usages prolongés de matériaux toxiques censés être obsolètes ».
Dans une recherche d’augmentation de la prise de responsabilité, le gouvernement central chinois encourage les gens à signaler les pollueurs illégaux aux autorités. Le professeur Yuan Xu, dirigeant du programme de gouvernance et de politique environnemental, l’Environmental Policy and Governance Programme, à l’université chinoise de Hong Kong, explique que ces signalements sont tellement nombreux que les autorités locales avec lesquelles il travaille en Chine de l’est rapportent passer plus de 60 pourcents de leur temps à les examiner.
Les détracteurs du système, y compris Xu, doutent que cela constitue une utilisation des ressources qui en vaut la peine : « Par exemple, avec les centrales à charbon, beaucoup de personnes pensent avoir identifier un polluant alors qu’il s’agit en fait de vapeur d’eau. Ils [le département de protection environnementale local] ont des ressources limitées, et les dépenser dans des contrôles qui ne sont pas précis est un gaspillage des ressources ».
Les espoirs de Xu sont plus grands en ce qui concerne les approches globales ayant recours à la technologie comme l’imagerie satellite, qui est déjà utilisée pour détecter les brûlis.
« Nous cherchons des moyens d’utiliser la technologie pour restructurer le système actuel », dit-il. « Nous voyons que le gouvernement chinois cherche activement à utiliser les données satellites, les réseaux sociaux, les capteurs et d’autres moyens de rassembler des données afin de mettre la main sur les pollueurs illégaux et les dirigeants gouvernementaux locaux qui ne font pas leur travail ».
Des solutions régionales dans l’Hindou Kouch
Même les solutions simples qui remplissent leurs objectifs prennent souvent des années à être mises en place. En Inde, où le gouvernement a mandaté une conversion en juillet 2018 des vieux fours à briques en nouveaux fours zig zag, plus efficaces, un rapport du contre pour la recherche et l’environnement, le Centre for Science and Environment (CSE) a montré que seulement un tiers des fours concernés de l’Inde du Nord avait été transformés à la date requise.
Selon le rapport, un passage aux fours zig zag pourrait réduire les émissions des appareils en brique jusqu’à 70 pourcents, une diminution très importante pour l’une des industries les plus polluantes du pays. Cependant, le rapport du CSE déclare que seul environ 20 pourcents des fours convertis à Delhi incarnent « une bonne conversion ».
Le centre international pour le développement et l’intégration des montagnes, l’International Centre for Integrated Mountain Development (ICIMOD), une organisation intergouvernementale qui se concentre sur la préservation des écosystèmes dans la région de l’Himalaya – Hindou Kouch, a mis en place avec succès des stratégies de conversion de fours à brique au Népal depuis 2015. À la suite du tremblement de terre dévastateur de 2015 à Gorkha, le scientifique atmosphérique principal et responsable du programme de l’ICIMOD, Arnico Panday, a entrevu des possibilités dans les décombres des vieux fours.
« Nous avions une fenêtre de temps limitée pour réunir les ingénieurs, les propriétaires de fours à brique, les responsables gouvernementaux des réglementations et les architectes pour avoir une discussion concernant la conception de fours plus efficaces, ou la reconstruction des fours d’une manière plus efficace, et pour améliorer l’installation et l’efficacité de la combustion », explique Panday.
Ils se sont mis d’accord sur une version du four zig zag qui réduirait l’utilisation du charbon de 30 pourcents, provoquerait une baisse considérable des émissions de CO2 et des coûts de production pour les propriétaires des fours, et réduirait également les émissions de noir de carbone, aussi appelé noir de fourneau, et de PM2.5 d’environ deux-tiers.
« Les propriétaires initiaux des fours, qui ont travaillé avec nous à Katmandou étaient vraiment enthousiastes et ont fait la promotion des fours transformés auprès de leurs amis et collègues », explique Panday. « Il n’a donc pas fallu très longtemps avant que l’ensemble des100 fours de la vallée de Katmandou soient transformés ».
L’ICIMOD a publié un manuel de conception pour apprendre aux propriétaires de fours à reconstruire leurs fours endommagés afin de consommer moins de charbon, de produire moins de pollution et un nombre plus élevé de bonnes briques. L’organisation continue de travailler avec les propriétaires de fours à travers le Népal, également au Pakistan et en Inde, dans l’espoir d’améliorer la conception de tous les fours de la région Hindou Kouch.
Qu’est-ce qui fonctionne, et pourquoi ?
Bien que l’approche de la Chine ne soit pas parfaite, elle possède une ambition qui manque souvent à d’autres gouvernements asiatiques, que ce soit par manque de sentiment d’urgence, à cause d’une désorganisation qui entraîne une non-conformité et des objectifs non réalisés qui ne sont pas traités, ou à cause d’un sentiment d’impuissance.
Les Nations unies (NU) félicitent les améliorations réalisées à Pékin et à Shanghai. Fabian, de l’Air Quality and Mobility Unit Asia-Pacific des NU, dit qu’il espère que les rapports tels que les documents des NU concernant les expériences menées sur des années à Pékin et Shenzhen, villes qui réduisent avec succès des niveaux élevés de pollution de l’air, circuleront bientôt en tant que mode d’emploi pour d’autres villes asiatiques qui font ou feront l’expérience de hauts niveaux de pollution.
« L’expérience est là, la technologie est là », déclare-t-il. « Maintenant, il faut que le gouvernement et le secteur privé agissent ».
Les fermetures généralisées des centrales à charbon et l’investissement massif dans les véhicules électriques altèrent rapidement l’air de la Chine pour le mieux, mais les analystes comme Xu et Shapiro expriment un besoin sérieux sur le long-terme d’un ensemble de pratiques consistantes prenant en compte les subtilités d’industries spécifiques et les données démographiques au lieu d’imposer une approche punitive et uniforme.
Les solutions pratiques conçues par des organisations telles que l’ICIMOD, le CERE et Warm Heart ne dépendent pas des contrôles ou des menaces du gouvernement envers ceux qui ne s’y conforment pas, et ne déplacent pas le fardeau sur ceux qui travaillent comme ils le peuvent pour maintenir un style de vie modeste. Leurs solutions offrent une alternative qui est une solution gagnant-gagnant pour ceux qui sont directement impliqués, et pour l’environnement.
De nombreuses villes et gouvernements en Asie pourraient tirer des leçons des rapports des NU sur le travail de dépollution mené par le gouvernement de Pékin depuis 20 ans, mais il y a aussi beaucoup de choses à apprendre des plus petits acteurs comme les communautés et individus qui se sont battus avec cœur pour un air plus propre et un avenir meilleur.
—
Article by Viola Gaskell.
Editing by Mike Tatarski and Anrike Visser.
Illustrations by Imad Gebrayel.
Global Ground is investigative, independent journalism. We’re ad-free and don’t sell your personal data, so we mainly depend on donations to survive.
If you like our stories or think press freedom is important, please donate. Press freedom in Asia is under threat, so any support is appreciated.
Thanks in advance,
The Global Ground Team